
Dans cet Hamlet, le spectateur sera sans doute un peu surpris par le début qui ressemble plutôt à la fin de l’histoire : En effet, le metteur en scène Krzysztof Warlikowski transporte le premier acte dans une maison de retraite ou un asile de fous, on ne sait pas trop… Une femme en fauteuil roulant regarde la télévision tandis qu’un homme fatigué avec un gilet difforme semble perdu dans ses souvenirs. On comprend qu’il s’agit d’Hamlet et de sa mère Gertrude enfermés dans leurs souvenirs qui tournent en boucle. A la faveur du second acte, le metteur en scène nous projette dans un flash back, 20 ans plus tot où nous retrouvons un Hamlet rajeuni qui s’amuse avec une voiture télécommandée dans un décor froid et oppressant.
En effet, le décor (Malgorzata Szczesniak) qui occupe tout le plateau de Bastille est une cage métallique géante aux cloisons mouvantes qui nous glace les sang. Hamlet y verra ses cauchemars se réaliser. De l’apparition du spectre de son père en clown blanc à la mort d’Ophélie en passant par la relation oedipienne d’Hamlet et Gertrude, nous sommes au cœur d’une histoire bien sombre. Le parti pris du metteur en scène ne plaira pas à tout le monde et d’ailleurs lors des saluts la salle est partagée entre acclamations et huées.
Tout le reste du casting fut acclamé avec une belle unité en revanche : Ludovic Tézier, dans le rôle titre, a déjà joué ce personnage il y a de nombreuses années. Le baryton français est fantastique, il incarne un Hamlet torturé et fragile. Sa voix puissante résonne avec bonheur dans de nombreuses nuances. Son jeu sensible donne vie au prince danois avec beaucoup d’émotion.
Ophélie est jouée par Lisette Oropesa. Elle est la chouchou du public vu l’ovation reçue et c’est amplement mérité, dotée d’une belle diction et d’aigus cristallins, elle enchante nos oreilles. Sa présence est rayonnante et sa scène de la folie est mémorable, elle se termine dans une baignoire si chère au metteur en scène.
Eve-Maud Hubeaux est une reine Gertrude très présente, la mezzo soprano nous ravit avec une voix de belle amplitude et des graves souples. Jean Teitgen à la puissante voix de basse de velours est un roi Claudius sombre à souhait. Laërte, le frère protecteur d’Ophélie est incarné par Julien Behr avec beaucoup de justesse. Fréderic Caton et Julien Henric sont respectivement Horatio et Marcellus.
La direction musicale enlevée de Pierre Dumoussaud arrive à nous faire oublier les longueurs de certains passages de l’oeuvre d’Ambroise Thomas. Il faut signaler le morceau de bravoure du saxophoniste (première fois qu’un saxophone est utilisé dans un opéra à l’époque) qui est monté sur scène lors du deuxième acte lors de la mort du roi Gonzague.
A l’Opéra Bastille jusqu’au 9 avril 2023
